#EtSi nous nous intéressions aux violences infantiles pendant le confinement et après le déconfinement ?

07/07/2021
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J’ai eu l’opportunité d’interviewer ce week-end Maître Oudy Ch. Bloch, Avocat à Paris, pour répondre à mes questions relatives aux violences infantiles et confinement / déconfinement. Retrouvez l'interview ici >> en vidéo.

Bonjour Maître Bloch, quel est l’impact du confinement sur les violences infantiles ?

Quelques statistiques tout d’abord pour savoir de quoi l’on parle. En France, tous les 5 jours un enfant meurt sous les coups de ses parents. Chaque jour, 200 enfants sont victimes de violence. Chaque heure, un enfant est victime de viol. Ces chiffres officiels du Ministère de la Justice, terribles, ne reprennent que les cas avérés. Il reste toutes les violences passées sous silence.

En cette période de confinement, les enfants maltraités sont en plus grand danger encore. Alors que les signalements sont d’ordinaire le fait des crèches, PMI, écoles (enseignants, infirmières scolaires) ou centres de loisir, la fermeture de l’ensemble de ces établissements a mis un coup de frein immédiat aux alertes. Dans le même temps, confinement oblige, la promiscuité, l’inactivité des parents, la nécessité d’occuper et d’enseigner aux enfants à la maison, l’anxiété générale relayée par les chaines d’information à longueur de journée sont des facteurs aggravants des violences. La France connaît sa septième semaine de confinement, une situation inédite. Conséquence : les tensions sont plus nombreuses, plus palpables, même dans les familles exemptes de difficultés particulières. Alors, dans les familles fragilisées par les addictions, les troubles psychiques et une maltraitance déjà ancrée, d’autant plus lorsqu’elles sont confinées dans un espace réduit, les enfants sont en première ligne des violences.

Que penser des moyens mis en avant par les autorités pour lutter contre cette violence terrible ?

Les mesures mises en place par le gouvernement, notamment pour lutter contre les violences conjugales (intermédiation par les pharmaciens, relais dans les centres commerciaux, plateformes temporaires de logement…) sont évidemment inadaptées à la lutte contre les violences infantiles.

De nombreux enfants n’ont pas accès à internet, aux réseaux sociaux, ni n’ont de téléphones portables. Ceux qui en ont ne sont pas assez informés des modalités de signalement (numéros d’urgence comme le 119, les sites internet du gouvernement, ou des associations de protection de l’enfance comme l’Enfant Bleu ou la Voix de l’Enfant) et ne peuvent que difficilement s’isoler pour appeler. Et puis il y a la peur. La peur des représailles une fois la police ou les assistants sociaux partis. Il y a la honte de subir et l’humiliation de dénoncer son père ou sa mère. Et pour ceux qui ne connaissent rien d’autre que cette violence, il y a cette normalité des coups, situations tragiques, inconcevables pour la plupart d’entre nous, très clairement décrites par Hélène Romano, psychologue et psychothérapeute. Quant aux plus petits, incapables de communiquer avec l’extérieur, ils sont à la merci de parents maltraitants dont la violence est exacerbée par le confinement.

Comment faudrait-il procéder pour endiguer cette violence ?

Il ne faut pas espérer des enfants qu’ils signalent les brutalités. Il faut les devancer sans attendre la fin du confinement. Pour ce faire, il faut compter sur le sens civique des voisins, des amis, de la famille, des commerçants susceptibles d’observer des traces de violences. Dénoncer des violences contre un enfant, c’est lui sauver la vie. Les campagnes de sensibilisation semblent fonctionner. Les appels d’urgence ont augmenté de 30% depuis le début des mesures sanitaires. La semaine dernière, suite aux campagnes d’alerte, il a bondi de 89%.

Au-delà de ces campagnes d’information qui ne touchent probablement pas tous les enfants en danger, quelles actions concrètes sont engagées sur le terrain ?

Sur le terrain, le travail des services sociaux - dont seules les visites physiques sont efficaces pour désamorcer des situations dangereuses – est fondamental. Le télétravail pour les éducateurs, c’est un cautère sur une jambe de bois. Selon un rapport de l’IGAS d’avril 2019, la moitié des enfants morts sous les coups de leurs parents étaient suivis par les services sociaux divers. On connait donc les familles à viser en priorité. Encore faut-il en avoir les moyens. Or le sous-effectif chronique et l’urgence sanitaire imposent une activité ralentie et des contacts par téléphone bien moins opérants.

Dans chaque département, l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) prend (ou pas) des mesures temporaires pour soulager les familles et éviter des situations de violence (ateliers pédagogiques, sorties en effectif très réduit…). Cela ne vaut toutefois que pour les cas déjà identifiés. Pour les cas de violence inconnus avant le confinement, il est difficile voire impossible d’intervenir. Mais ce confinement aura une fin et il faudra alors être particulièrement attentif. Les professionnels s’attendent à une forte hausse des signalements dès la levée du confinement.

Ce qui nous amène au « jour d’après ». Comment la justice s’organise-t-elle pour faire face ?

Pour permettre un travail efficace et aussi rapide que possible, il faudra augmenter les effectifs en charge des enquêtes et de soutien psychologique. Les Cellules de Recueil d’Information Préoccupantes (CRIP) et les pôles « protection de l’enfance » des tribunaux devront aussi bénéficier de moyens humains, techniques et financiers supplémentaires pour gérer l’afflux de nouveaux cas dans des délais restreints, pour le bien des enfants.

Bien sûr, le gouvernement n’a pas chômé pendant ces semaines de confinement. Dès le 25 mars, une ordonnance permettait aux juges, pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire, de prolonger ou au contraire de mettre fin à une mesure d’assistance éducative afin d’assurer une continuité du processus judiciaire. Mais ces mesures ne sont pas neutres quant aux droits de l’enfant. Ces décisions peuvent en effet être prises sans audition des parties, c’est-à-dire sans entendre les parents ni l’enfant. Or décider d’une action éducative en milieu ouvert ou d’un placement sans faire un point concret sur la mesure en cours, réajuster l’encadrement éducatif et recueillir la parole de l’enfant, porte non seulement atteinte au principe du contradictoire mais peut avoir des conséquences extrêmement néfastes sur l’enfant. Celui-ci aura manqué une occasion importante de partager avec un référent dans une période où le danger réside justement dans l’impossibilité de communiquer avec l’extérieur pour nombre d’entre eux. Le seul rapport du service éducatif remis au juge ne permet pas une juste analyse de la situation et trop d’enfants en détresse en payent le prix.

Lors de la sortie de crise, il faudra que les magistrats revoient tous ces dossiers en présence de toutes les parties, en plus des affaires courantes qui viendront engorger plus encore leurs cabinets. Il est indispensable d’augmenter les moyens en vue du « déconfinement » judiciaire pour raccourcir les délais. Car pour ces enfants, un délai trop long est souvent synonyme de danger. Et ce, d’autant plus qu’une nouvelle vague virale et un nouveau confinement n’est pas à exclure dans les semaines qui viennent.

Merci Maître Bloch.